Réplique (Les enquêtes de Lizzy Gardner t. 1) (French Edition) (9 page)

— Et
ensuite ?

— Ensuite, il me ramenait dans ma chambre, avec les araignées. Nous étions toutes logées à la même enseigne, prises au piège et sans aucune porte de
sortie.

— Les araignées et
toi ?

Il sentit qu’elle hochait la
tête.

— La plupart des nuits, reprit-elle, je n’avais qu’une seule envie : m’endormir et ne jamais me réveiller. Mais je ne pouvais pas dormir, parce que les filles occupaient toujours mon esprit − la peur dans leurs yeux, les horreurs qu’elles avaient endurées. J’entendais leurs hurlements… et, parfois, je percevais un bruit
strident.

— Quel genre de
bruit ?

— Un bruit électrique suraigu… et
interminable.

— Une scie électrique ? demanda-t-il. Plutôt une scie ou une
perceuse ?

— Je l’ignore.

Personne d’autre que les agents qui travaillaient sur l’affaire ne savait que deux des trois victimes retrouvées avaient été aveuglées à l’acide. L’une d’elles avait été découverte avec des aiguilles sortant de la rétine. Mais les bruits de perceuse n’avaient aucun sens, ne correspondaient à rien de ce que les corps avaient
révélé.

— Bon, lâcha-il, ému de la voir aussi meurtrie. Je vais annoncer à Jimmy que tu n’es pas prête à t’impliquer.

— Je ne veux pas, dit-elle en inspirant d’un air déterminé. J’ai besoin de le faire… pour moi autant que pour
Sophie.

Il la conduisit à la cuisine et remplit un verre d’eau, qu’il porta jusqu’à ses lèvres. Elle but quelques gorgées et il reposa le verre sur le comptoir. Il prit son visage entre ses mains. Elle avait un visage pâle, en forme de cœur, de grands yeux et des lèvres pulpeuses. C’était toujours la plus belle femme qu’il lui ait été donné de voir. Tout chez elle lui manquait − leurs longues conversations existentielles, son rire
spontané.

— Je n’aurais jamais dû te laisser me
rejeter.

— J’espère que tu ne prévois pas de m’embrasser, parce que ça fait si longtemps qu’on ne m’a pas embrassée que je ne me rappelle même plus comment on fait. Je ne pense
pas…

Avant qu’elle ne puisse dire un mot de plus, il pencha la tête et posa ses lèvres contre les siennes. Elles étaient douces. Il savait qu’il ne devrait pas l’embrasser, surtout dans un moment où elle était si vulnérable et faible. Peut-être jamais, d’ailleurs. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Il avait passé tellement de temps à songer à ce baiser. Certes, il avait envie de l’embrasser, mais surtout, il en avait besoin. Il avait besoin de la tenir contre lui et, au fond, lui faire comprendre qu’il ne laisserait jamais personne lui faire à nouveau du
mal.

Son téléphone portable se mit brusquement à sonner. Il leva la tête et la vit rouvrir lentement les
yeux.

— Tu as raison, dit-elle.

La deuxième sonnerie retentissait lorsqu’il s’en
empara.

— À quel
sujet ?

— Tu n’aurais jamais dû me laisser te
rejeter.

Il sourit et répondit au
téléphone.

— Oui, je suis ici avec elle. Elle est d’accord pour la mise sur
écoute.

Il la regarda et elle haussa évasivement les
épaules.

— Très bien, dit-il, on se voit dans dix
minutes.

CHAPITRE 8

Mardi 16 février 2010,
11 h

 

Son cœur cognait contre sa cage thoracique. Il s’était assoupi. Il se redressa et jeta un œil à la pendule. Il lui restait quelques heures avant de devoir retourner au
bureau.

— Cynthia, dit-il à haute voix, son rêve toujours vivace dans son
esprit.

Il mourait d’envie de la revoir, d’être avec elle. Il n’avait pas réalisé à quel point Cynthia lui manquait avant cet
instant.

Pour Cynthia, il avait été capable d’arrêter de tuer. En réalité, il pensait s’être définitivement débarrassé de cette habitude. Pendant près de quatorze ans, elle lui avait suffi. Le regard qu’elle avait posé sur lui lorsqu’il lui avait dit la vérité lui faisait toujours mal. Mais maintenant, il ne pouvait plus rien y faire. Il avait déjà atteint le point de non-retour.

« Tueur un jour, tueur toujours. »

Mais l’heure n’était pas à la mélancolie. Il embrassa le salon du regard. Il avait du pain sur la planche. La maison était restée inhabitée pendant des années. Les murs avaient besoin d’une couche de peinture, peut-être de nouveaux rideaux. Cynthia aimait les couleurs vives… rouge et bleu. Il préférait les teintes plus discrètes, comme le taupe. Un jaune bouton d’or ferait sûrement l’affaire pour donner un peu d’éclat à la
pièce.

Un mouvement dans l’aquarium de trente-cinq litres posé sur la table devant lui attira son attention. À l’intérieur se trouvaient deux araignées australiennes à toile entonnoir qu’il avait commandées en ligne. D’un noir brunâtre et extrêmement venimeux, c’était son genre d’araignée
favori.

Cynthia n’avait jamais beaucoup aimé les araignées ni les serpents. Il se rendait compte que son amour pour elle l’avait transformé. C’était toujours le cas. Il avait surmonté tant de choses grâce à
elle.

Il tapota contre la vitre et sourit lorsque la plus grosse des deux araignées souleva ses pattes avant et tendit ses
crochets.

— Bon garçon, dit-il. Ne t’inquiète pas, tu vas bientôt
manger.

 

 

Mardi 16 février 2010, 11 h
 55

 

Lizzy se demandait à quand remontait la dernière fois qu’elle avait reçu tant de personnes en même temps dans son appartement. Deux hommes de l’agence s’agitaient autour de son téléphone. Ils en changeaient les fils pour le relier à une boîte noire qui ressemblait à un lecteur de DVD
miniature.

Jimmy Martin était debout au milieu du salon. Il avait sorti son téléphone et passait plusieurs appels à différentes agences de police. On cherchait une femme qui portait une casquette de base-ball et conduisait une Jeep Grand Cherokee verte correspondant aux numéros de plaque qu’elle lui avait
donnés.

Lizzy ne savait pas sur quel pied danser avec Jimmy. Il n’avait pas le sourire facile, ce n’était rien de le dire. Son visage était fermé et sa démarche rigide. Dans la cuisine, Jared fouillait les placards à la recherche d’une tasse et d’une boîte à thé. Comme elle n’avait pas son café de prédilection, il avait opté pour du thé. Apparemment, il était accro à la caféine. Et il était
pointilleux.

— As-tu du thé noir indien ? demanda
Jared.

Elle le rejoignit dans la cuisine, ouvrit le tiroir le plus proche du réfrigérateur et lui montra une boîte à
thé.

— Du thé vert, sans marque particulière. C’est tout ce que je peux t’offrir.

Il sortit l’un des sachets de la boîte, malgré son insatisfaction évidente. Si elle n’était pas aussi fatiguée, elle aurait éclaté de rire devant sa mine déconfite. Il était visiblement déçu par sa collection de thés. Exigeant ou pas, elle appréciait déjà sa compagnie. Leur baiser avait éveillé son imagination et, par miracle, avait réussi à lui changer les idées pendant quelques instants
magiques.

— Vous est-il arrivé de quitter la maison de Spiderman pendant les deux mois de votre captivité ? interrogea Jimmy depuis l’autre
pièce.

— Non, fit Lizzy en secouant la tête, tout en se demandant pourquoi les fédéraux persistaient à répéter sans cesse les mêmes
questions.

Elle laissa Jared se débrouiller tout seul et revint dans le salon. Jimmy était passé du fauteuil au canapé, où il était penché au-dessus de sa table basse jonchée de notes et de photos de Sophie. Une carte de Sacramento était dépliée devant
lui.

Alors qu’elle posait à son tour les yeux sur la région autour de l’American River, une image de la maison qu’elle avait fuie surgit dans sa mémoire. Quand Lizzy s’était évadée, la deuxième fois, elle était passée par la fenêtre de la salle de bains, la seule fenêtre de la maison dépourvue de barreaux. Au début, Spiderman ne l’avait pas autorisée à utiliser autre chose qu’un seau. Toutefois, après trois semaines d’emprisonnement, il l’avait conduite dans la salle de bains. Le temps qu’elle y avait passé toute seule lui avait suffi pour comprendre qu’elle allait devoir perdre beaucoup de poids pour pouvoir se faufiler par la minuscule fenêtre au-dessus de la baignoire. Elle savait aussi qu’elle devait rester en vie assez longtemps pour tenter le
coup.

Lizzy regarda encore la carte pendant quelques instants avant de désigner une rue en
particulier.

— C’est là que Betsy Raeburn m’a vue, la femme qui faisait ce jour-là ses livraisons de vêtements nettoyés à
sec.

Jimmy entoura au crayon une zone éloignée d’environ quatre pâtés de maisons de l’endroit qu’elle lui
montrait.

— C’est ici que Raeburn a déclaré vous avoir
ramassée.

Lizzy jeta à Jared un regard
frustré.

— Est-ce que quelqu’un peut me conduire là-bas ? fit-elle en écrasant son doigt sur la carte. Là où Betsy m’aurait
trouvée…

Apparemment étonné par sa demande, Jared lui
répondit :

— D’après le dossier, tu y es déjà allée. Je ne pense pas que ce soit
nécessaire.

— Ça fait plus de dix ans, dit-elle. Tout a changé aujourd’hui. Des images de la maison et de la rue me sont revenues. Je dois y retourner.
Maintenant.

— Tu es sûre d’être prête ? demanda
Jared.

— Pour l’amour de Dieu, dit Jimmy. Je me charge de l’accompagner.

Lizzy déglutit. Elle avait la gorge nouée. Non, elle n’était pas sûre d’être prête. À vrai dire, elle avait l’impression de marcher en équilibre au bord d’une falaise. Elle pouvait tomber à tout moment. Elle était déjà passée par là. Mais sa décision était prise, et elle n’allait pas changer d’avis maintenant. Elle jeta un œil à la photo de Sophie avant de regarder Jared en hochant la
tête.

— C’est quand tu veux, je suis
prête.

— Avant que vous ne vous enfuyiez, dit Jimmy, j’ai d’autres questions à vous
poser.

Elle croisa les
bras.

— Que voulez-vous
savoir ?

— Pour commencer… pourquoi
maintenant ?

Jared revint dans le salon et regarda
Jimmy.

— Que veux-tu
dire ?

Les yeux de Jimmy restaient rivés sur
Lizzy.

— Je veux savoir pourquoi elle pense pouvoir soudain localiser la rue exacte où on l’a retrouvée, alors que pendant dix ans elle a été incapable de désigner une rue dans un rayon d’un kilomètre et demi autour du point que Mme Raeburn nous a
donné.

Refusant de se laisser intimider, Lizzy soutenait le regard de l’agent Martin avec la même détermination et le même courage qu’elle lisait sur son
visage.

— Je crois qu’elle souffre de la culpabilité du survivant, intervint Jared avant qu’elle ait pu répondre. À cause de cette culpabilité, Lizzy a refoulé ses souvenirs douloureux, des souvenirs qui pouvaient et peuvent encore être réveillés par la moindre chose… une odeur particulière, une chanson, un bruit… tout et n’importe quoi. Dans le cas de Lizzy, je pense que c’est l’appel téléphonique qu’elle a reçu de la part de Spiderman, ou peut-être le message, qui a fait resurgir certains
souvenirs.

— Je sais que vous ne m’avez pas crue à l’époque, dit Lizzy à Martin, et vous ne me croyez sans doute toujours pas aujourd’hui, mais je me fiche de ce que vous pensez. La seule chose qui m’importe est de retrouver Sophie avant qu’il ne soit trop
tard.

Jimmy enfonça les mains dans les poches de son
pantalon.

— Je suis tout
ouïe.

— Vous pouvez faire toutes les hypothèses que vous voulez, tous les deux, reprit Lizzy, mais je vous dis que Spiderman est de retour. Et il connaît déjà tout de Sophie, y compris ce qui lui fait peur. Si elle craint le noir, alors elle est emprisonnée dans un sous-sol ou une pièce sans
fenêtres.

— Et vous ? demanda Jimmy. Vous enfermait-il dans l’obscurité ?

— Il ne me connaissait pas. Je ne faisais pas partie de son plan. Il se servait d’insectes pour me faire
peur.

— Les serpents et les araignées ne t’ont jamais effrayée, précisa
Jared.

— Non, en effet, reconnut-elle. Les araignées et les serpents m’intriguaient, mais Spiderman l’ignorait. Son excitation était palpable lorsque j’exprimais de la peur. Je savais que c’était exactement ce qu’il voulait. S’il faisait mine de me poser une araignée dessus, je hurlais et l’implorais d’arrêter. Je lui laissais croire qu’il avait trouvé mon talon d’Achille. Il se repaît de la
peur.

— Tu l’as mené en
bateau.

Jimmy jouait avec les pièces de monnaie dans sa
poche.

— On dirait que ce type n’est pas aussi intelligent qu’il le
croit.

Elle leva le
menton.

— Suffisamment intelligent pour échapper au FBI pendant quatorze
ans.

Jimmy fit semblant de ne pas l’avoir entendue, mais elle sut d’après le tic nerveux qui lui contracta la mâchoire qu’elle l’agaçait. Quel
dommage.

— Spiderman se servait aussi des choses que les filles aimaient pour les
apaiser.

Jimmy haussa un
sourcil.

— Par
exemple ?

— Le chocolat chaud, la réglisse, les animaux en peluche : il utilisait tout et n’importe quoi. Il savait ce qu’elles aimaient et il s’en servait contre elles de la même façon qu’il utilisait ce qu’elles redoutaient le plus pour les
terroriser.

Elle ramassa la photo de
Sophie.

— Nous devons apprendre tout ce que nous pouvons au sujet de Sophie. Rentrait-elle chez elle à pied ou prenait-elle le bus ? Comment traitait-elle ses amis et sa famille ? Avait-elle des
vices ?

— En quoi est-ce important ? demanda
Jimmy.

— Spiderman se considère comme un héros, répondit Jared. Dans sa tête, il ne fait que rendre la justice en enlevant des filles qu’il estime irrespectueuses ou « méchantes ».

— Irrespectueuses envers
qui ?

— Peu importe, dit Lizzy. Les adultes… leurs parents, leurs amis. Il me disait que ses victimes étaient des menaces pour la société. Il n’aimait pas les filles qui profitaient de l’absence de leurs parents pour sortir en douce de chez elles, les filles qui séchaient les cours, qui étaient insolentes ou qui fumaient des cigarettes à la
récréation.

— Par pure hypothèse, proposa Jimmy, partons du principe que nous savons tout de Sophie. En quoi ces renseignements nous aideront-ils à la
retrouver ?

— Elle cherche un point commun, répondit Jared. N’importe quel point commun entre Sophie et les autres victimes, qui pourrait les relier à une seule personne, un seul homme, un seul
tueur.

Jimmy prit la
mouche.

— Ne sommes-nous pas tous dans le même cas ? Que croyez-vous que nous avons fait pendant ces quatorze dernières années ? Nous tourner les
pouces ?

Lizzy haussa les épaules, comme si elle admettait l’éventualité.

— En cet instant même, reprit Jimmy, j’ai quelqu’un qui s’entretient avec le principal de l’école de Sophie. Sa professeure de piano aura quatre-vingts ans la semaine prochaine, alors nous l’avons rayée de la liste. Sophie n’aimait pas le sport et elle n’avait que des A à l’école. À part le fait qu’elle soit une adolescente, je ne vois aucun point commun avec les autres
victimes.

Lizzy réprima un grognement. Jimmy avait déjà abandonné l’idée de trouver de nouvelles pistes. Alors qu’elle s’apprêtait à lui révéler le fond de sa pensée, le téléphone portable de Jimmy se mit à sonner et il s’excusa avant de sortir pour
répondre.

— Ne le laisse pas t’avoir, dit Jared. C’est une tête de
mule.

— C’est un
connard.

Elle leva les mains au ciel,
résignée.

— Je ne sais pas pourquoi je perds mon temps à lui parler. Il ne veut rien écouter de ce que j’ai à dire. Tu ne vois pas qu’il a déjà classé cette affaire dans une jolie petite boîte et qu’il a baissé les
bras ?

— Allons faire un
tour.

— Et ton
thé ?

— Il peut
attendre.

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